Pierre TRUDEL et France ABRAN, Droit de la radio et de la télévision, Montréal, Éditions Thémis, 1991, 1180 p.

Prix de la Fondation du Barreau 

Extrait de l’introduction

L’encadrement juridique constitue l’infrastructure de la régulation étatique des activités de communication.  Cet encadrement est fortement tributaire des valeurs, souvent contradictoires, qu’on essaie d’y refléter ou qui s’y reflètent spontanément.  La façon dont le cadre juridique est connu n’est pas sans conséquence dans l’élaboration des politiques de communication.  La recherche juridique et son produit le plus perceptible, la «doctrine juridique», contribuent à élaborer une structure théorique d’un domaine du droit et dirigent ensuite un regard critique sur ses postulats pour éclairer les valeurs qui y sont reflétées.  La recherche juridique et la doctrine prennent position vis-à-vis l’explication donnée dans le passé et s’interrogent sur le droit à venir[1].  On observe ici la vocation réformatrice et programmatrice de la doctrine.  Minimalement, la recherche juridique permet d’exposer le droit actuel d’une façon cohérente et systématique; c’est une vocation d’organisation.  Cette vocation s’ajoute à celle qu’on lui attribue souvent d’intégrer les diverses sources du droit dans un contexte social, soit de vérifier l’efficacité de la norme juridique.

Le cadre juridique de la radiodiffusion repose au premier chef sur des rationalités ou des valeurs au nom desquelles émergent des demandes visant à en encadrer certains aspects.  Lorsqu’il cherche à contribuer à la mise en oeuvre de politiques, l’encadrement juridique est généralement tributaire des valeurs, souvent contradictoires, qu’on essaie d’y refléter.  Il ne peut donc s’analyser en faisant abstraction de ces valeurs.  Ces valeurs sont même, comme nous le verrons tout au long de cet ouvrage, captées par le droit qui en fait des notions chargées de signification et de conséquences juridiques.  C’est cela qu’il faut mieux comprendre, c’est là que réside l’essence du droit canadien de la radio et de la télévision.

L’analyse des dimensions juridiques de la radio et de la télévision suppose, au premier chef, d’identifier ces rationalités au nom desquelles l’on pourra voir émerger des demandes d’en encadrer certains aspects.  Les représentations de la réalité que se font les acteurs et les décideurs, les impératifs dictés par les inquiétudes qui se font jour à diverses époques au sein de ce qu’il est convenu d’appeler «l’opinion publique» jouent assurément un rôle majeur dans l’émergence et la cristallisation de rationalités perçues comme autant de motifs légitimes pour solliciter l’intervention du droit à l’égard d’une question.  Il importe de bien examiner tous ces phénomènes lorsqu’on est en présence d’une question rattachée à l’exercice de la liberté d’expression, et l’univers de l’audiovisuel soulève plusieurs de ces questions.  Connaître les dimensions juridiques d’un phénomène comme la radio et la télévision, c’est en bonne partie connaître les raisons qui poussent à l’adoption des règles, qui rendent «rationnelles» les règles adoptées pour encadrer le fonctionnement de ces médias.

Les décisions des autorités publiques en application des politiques de communication peuvent s’exprimer par plusieurs techniques.  Nous appelons «techniques de réglementation» les diverses techniques utilisées par ceux qui veulent imposer des normes de conduite à ceux qui prennent part à une activité.  En adoptant une technique plutôt qu’une autre ou une combinaison de techniques de réglementation, les instances chargées de mettre au point les politiques parviennent  à définir et à prévoir les modes d’articulation entre les droits, les obligations et les intérêts des diverses parties impliquées dans la circulation de l’information.  C’est de ce processus qu’émane la réglementation de la radio et de la télévision.

 

 


[1] Roderick A. MACDONALD, «La doctrine: source de droit administratif québécois?», (1983-84) 29 McGill L.J. 340.

 

Ce contenu a été mis à jour le 07/18/2017 à 12:41 PM.